D’une certaine façon, le culte entourant la photographie noir et blanc est basé sur la nostalgie”. C’est ainsi que René Burri, membre éminent de l’agence Magnum, réagissait par rapport au noir et blanc. Mais n’est-ce pas restreindre l’impact du noir et blanc que de le considérer sous l’angle de la seule nostalgie? Certes, la photographie est née en noir et blanc. Mais le cinéma aussi. Et aujourd’hui, à part quelques exceptions, on ne tourne plus en noir et blanc. La couleur est omniprésente dans les salles obscures, sauf dans celles qui projettent les classiques de l’histoire du cinéma. En revanche, le noir et blanc reste très présent en photographie. Il suffit de feuilleter des magazines, de naviguer sur le web ou d’aller voir des expositions. Il se décline aussi bien dans le reportage, la publicité ou l’art contemporain. Les procédés anciens comme le platine ou la gomme bichromatée, connaissent un regain d’intérêt. L’image numérique, qui a déferlé dans nos vies ces vingt dernières années, n’a pas émoussé le désir du noir et blanc. Mais les raisons de le pratiquer ne sont plus les mêmes qu’il y a cinquante ou cent ans. Aujourd’hui, on s’est affranchi des difficultés techniques et financières qui favorisaient le noir et blanc par rapport à la couleur. Un boîtier numérique et une imprimante jet d’encre délivrent une palette de couleurs inconnue à l’époque du film. Une variété de nuances infinie Le noir et blanc attire toujours beaucoup de jeunes et moins jeunes photographes. Pas seulement comme un exercice de style, à la manière de la poésie en vers par rapport à la prose. Il y a mille autres raisons. Le message est simplifié, la couleur ne distrait plus. La teinte de peau n’est plus un problème: fini les rougeurs indésirables d’un portrait. On se concentre sur la composition et les effets de lumière entre le clair et l’obscur. La gamme de gris offre une variété presque infinie de nuances à l’œil, lequel distingue moins bien les variations des couleurs. On restitue avec plus de force le relief et la texture d’une surface, d’une matière. Le noir et blanc, c’est aussi la possibilité de s’échapper dans un autre monde, celui de l’imagination, différent du polychrome omniprésent du quotidien. Et à l’heure de l’obsolescence programmée, des bouleversements technologiques et d’un monde trépidant, il rassure. Avec lui, on participe aux racines d’une longue et riche histoire photographique. De cette histoire, nous vous proposons quelques œuvres stimulantes, sources d’inspiration aussi bien dans leur genre (portrait, photo de rue, journal intime, etc.) que dans leur traitement.
Frank Horvat a bousculé la photographie de mode. Quand il l’aborde dans les années 1950, c’est avec l’œil du photojournaliste, à l’esprit volontiers frondeur. Il fait sortir les mannequins des studios pour les photographier dans la rue ou dans des lieux inhabituels: un café, le métro, un cabaret, etc. Resituons le contexte. En 1950, à 22 ans, il rencontre Henri Cartier-Bresson et Robert Capa. Puis il parcourt pendant deux ans l’Inde et le Pakistan, en free-lance. En 1954, il vit à Londres où il travaille pour Life et le Picture Post. Un an plus tard, il s’installe à Paris. Il mène de front deux carrières. Il photographie la mode entre Paris, Londres et New York, pour le Jardin Des Modes, Elle, Glamour, Vogue, Harper’s Bazaar, etc. Parallèlement, entre 1958 et 1961, il est photographe associé à l’agence Magnum. La photo que nous reproduisons réunit “Michel, mon fils, et un mannequin qui s’appelait Karen”. Elle a été prise à Paris, en 1960, pour le Vogue anglais. Hors du studio, en appartement, elle mélange la vie intime à l’élégance de la mode. C’est en noir et blanc, car à l’époque, “il n’existait que le noir et blanc”. Frank Horvat l’a délaissé, car “ça fait un peu vieillot”. Un appareil compact numérique (dernièrement un Canon G9X) l’accompagne pour enregistrer les instantanés du quotidien et ses recherches photographiques. “Je photographie en couleur aujourd’hui, mais c’est une couleur atténuée. En fait, le noir et blanc est l’extrême de la couleur atténuée”. Toujours ouvert à la nouveauté, il a été pionnier en numérisant lui-même ses archives. C’est aussi l’un des premiers, à proposer des tirages jet d’encre de ses photographies. “J’imprime moi-même jusqu’au 50×60 cm. Les galeristes et les collectionneurs ne sont plus réticents au jet d’encre. Mes tirages argentiques sont plus chers, car ce sont des vintages. Mais cette différence est une manie de collectionneurs, car je ne les trouve pas meilleurs que les tirages jet d’encre.”